SAUVEUR DU MONDE

POINTS DE VUE THÉOLOGIQUES MODERNES

Nous insistons beaucoup de nos jours sur le rôle de la théologie moderne comme base pouvant nous permettre de saisir la vérité. S'il est vrai qu'une bonne exégèse (analyse) des textes est importante pour bien comprendre les Écritures, nous devons aussi réaliser que les théologiens se sont souvent trompés. Par exemple, les docteurs d'Israël n'ont jamais reconnu le Messie dans le serviteur souffrant de l'Ancien Testament. Ce fut l'une des principales causes du rejet de Jésus par les chefs d'Israël.

De même aujourd'hui, de nombreux théologiens dignes de confiance ou considérés comme tels s'attachent encore à des hérésies contraires aux Écritures. La théologie moderne est de plus souvent influencée par la spéculation et le libéralisme de la raison humaine (le rationalisme) ou encore par l'opinion des hommes de science, plutôt que par un «Ainsi dit le Seigneur».

Mais cela ne signifie pas que nous devions totalement la rejeter. Les recherches bibliques récentes ont beaucoup contribué à nous donner une compréhension plus claire et plus profonde des Écritures et nous devons en profiter. Ceci est particulièrement vrai du sujet de l'humanité de Christ car, comme le déclarait D. M. Baillie: «Nous pouvons affirmer sans crainte de nous tromper que presque toutes les écoles de théologie prennent aujourd'hui le sujet de l'humanité de notre Seigneur beaucoup plus au sérieux que ne l'ont jamais fait les théologiens chrétiens auparavant.»

Depuis l'incarnation de Christ, l'homme a toujours été confronté avec cette question que Jésus posa à Ses disciples: «Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l'homme?» ( Mt 16:13 ). Les auteurs du Nouveau Testament n'ont pas argumenté sur la double nature de Christ, mais ils ont proclamé comme un fait qu'Il était pleinement Dieu et pleinement homme en une seule personne.

Les chrétiens d'origine païenne appartenant à l'Église primitive étaient pour la plupart Grecs d'origine et trouvèrent difficile d'accepter ce fait comme argent comptant. Leur argument était le suivant : comment un Dieu saint pourrait-Il coexister avec une chair humaine? Pour plusieurs d'entre eux, cette chair se trouvait constituée de matière et la matière était à leurs yeux synonyme de mal. C'est ainsi qu'ont commencé, à l'aube de l'histoire du christianisme, les grandes controverses christologiques entre ceux qui, d'une part, niaient la divinité de notre Seigneur et ceux qui, à l'opposé, niaient la réalité de Son humanité.

Il a fallu deux conciles, Nicée (325 après J.-C.) et Chalcédoine (451 après J.-C.) pour que l'Église chrétienne parvienne finalement à rétablir et à accepter les déclarations apostoliques concernant le caractère unique de la personnalité de Christ qu'Il était en même temps pleinement Dieu et pleinement homme. Cette position, même si elle n'a pu résoudre tous les problèmes christologiques, a été adoptée et retenue jusqu'au «siècle des lumières» (le dix-huitième siècle) quand savants et théologiens ont de nouveau commencé à s'interroger sur la personne et l'oeuvre de Christ. Le débat dure toujours.

Mais même s'il est exact que les théologiens modernes ne sont pas tous d'accord sur la question de l'humanité de Christ, il est rassurant de savoir que bon nombre d'entre eux, considérés dignes de confiance, fondamentalistes bibliques comme systématiques, des théologiens comme Anders Nygren, Karl Barth, J. A. T. Robinson, T. F. Torrance, C. E. B. Cranfield, Nels F. S. Ferré, Harold Roberts, Lesslie Newbigin et plusieurs autres, tirent tous leurs arguments des enseignements du Nouveau Testament, sans exception.

Par exemple, Anders Nygren, le célèbre professeur de théologie systématique de l'Université de Lund en Suède, disait dans son Commentaire sur Romains: «Car il fallait que ce soit directement, au coeur même du royaume du péché, que le Fils amène le péché en jugement, en triomphe et lui enlève son pouvoir... Paul prend soin de bien établir qu'en venant dans ce monde, Christ S'est réellement soumis aux mêmes conditions que nous et aux mêmes puissances destructrices qui retenaient l'homme en esclavage... La nature charnelle de Christ n'était pas une chose irréelle mais tangible. Il a vécu dans les mêmes conditions que nous. Il a été assailli par les mêmes puissances de destruction. De 'Sa chair' ont surgi les mêmes tentations que nous subissons. Mais dans tout ceci, Il a dominé le péché... Christ a vaincu le péché au sein même de son royaume, c'est-à-dire dans la chair, en venant Lui-même sous la forme d'une chair pécheresse.» (Commentary on Romans, 8:1-11).

Un autre théologien contemporain, Harry Johnson, compléta sa thèse de doctorat sur le même sujet à l'Université de Londres. Dans l'introduction de son ouvrage «The Humanity of the Saviour» (Epworth Press, Londres, 1962), il écrivait: «L'éternel Fils de Dieu a assumé [pris charge de] la nature humaine, tous les chrétiens sont d'accord sur ce point. Mais quelle sorte de nature humaine a-t-Il prise? Était-ce la nature humaine qui fut affectée par la chute, 'la nature humaine déchue', ou était-ce la nature humaine telle que créée par Dieu à l'origine? ... La réponse de ce livre est qu'Il a pris la nature humaine telle qu'elle est devenue par suite de la chute. En dépit de cela, Il a vécu une vie parfaite, sans péché, et Il a finalement racheté cette 'nature déchue' par Sa croix; c'est dans cette victoire que se trouve le fondement de l'expiation [la réconciliation].»

Johnson ajoute: «Cette position christologique est soutenue par le Nouveau Testament et de nombreuses indications suggèrent qu'elle permet une interprétation plus profonde de certains passages du récit évangélique. Elle est clairement enseignée par Paul et elle est implicite dans certains aspects christologiques de l'Épître aux Hébreux.»

Si nous devons restaurer pleinement et complètement l'évangile et poursuivre la tâche entreprise par les réformateurs il y a quelque 400 ans, il nous faut considérer avec sérieux ce que T. F. Torrance nous disait sur la nature humaine que Christ a assumée à l'incarnation. Notez, je vous prie, ce que ce théologien de renom déclarait sur la nécessité de redécouvrir la vérité à propos de l'humanité de Christ.

«Il se peut que la vérité la plus fondamentale que nous ayons à apprendre dans l'Église chrétienne, ou plutôt à réapprendre puisque nous l'avons supprimée, c'est que l'incarnation signifie la venue de Dieu ici-bas pour nous sauver au sein de notre humanité déchue et dépravée, là même où l'humanité atteint le zénith de sa méchanceté dans l'inimitié et la violence qu'elle oppose à l'amour réconciliateur de Dieu. C'est-à-dire que l'incarnation doit être comprise comme Dieu venant Lui-même prendre notre nature humaine déchue, notre véritable existence humaine chargée de culpabilité et de péché, notre humanité devenue malade dans l'âme et l'esprit par son éloignement, son aliénation du Créateur. C'est une doctrine omniprésente dans l'Église primitive des cinq premiers siècles qui affirme à maintes reprises qu'il fallait que l'homme entier soit assumé par Christ pour qu'il soit sauvé, que ce qui n'est pas assumé n'est pas guéri, ou que ce que Dieu n'a pas pris en charge en Christ n'est pas sauvé. Ainsi l'incarnation devait être comprise comme l'envoi du Fils de Dieu sous la forme concrète de notre propre nature pécheresse et comme sacrifice pour le péché, nature dans laquelle Il jugea le péché afin de racheter l'homme de sa disposition d'esprit charnelle et hostile.» (Thomas F. Torrance, The Mediation of Christ, p. 48-49, 1983.)

Se pourrait-il que la même raison ait poussé l'International Critical Commentary à changer, en 1982, sa position sur l'humanité de Christ qu'il considérait comme formée de la nature de l'homme avant la chute et qu'il opte maintenant pour la nature qui a suivi la chute? «Si nous reconnaissons que Paul croyait que le Fils de Dieu avait assumé la nature humaine déchue, nous serons probablement portés à y voir aussi une allusion à la lutte incessante de toute Sa vie terrestre dans laquelle Il força notre nature rebelle à rendre une parfaite obéissance à Dieu.»

Le commentaire poursuit en faisant cette observation: «Ceux qui croient que c'était la nature humaine déchue qui a été assumée ont encore plus de raisons que n'en avaient les auteurs du Catéchisme de Heidelberg de voir que l'ensemble de la vie de Christ précédant Son ministère terrestre et Sa mort ne consistait pas simplement à occuper la position d'Adam avant la chute sans céder face à la même tentation qui avait eu raison de lui, mais consistait à Se placer au même point de départ que nous, Se soumettant à toutes les pressions malignes dont nous avons hérité et utilisant le matériel à la fois peu prometteur et inadéquat de notre nature corrompue pour accomplir une obéissance parfaite et sans péché.» (C. E. B. Cranfield, The International Critical Commentary, Romans vol. 1, p. 379-383, édition 1982).

Après quinze années de recherche exhaustive, le Word Biblical Commentary présente pour sa part ce qui est considéré comme la plus récente et la plus sérieuse interprétation de l'Écriture jamais produite. Notez ce que le commentaire déclare concernant Christ, envoyé «dans une chair semblable à celle du péché» ( Romains 8:3 ).

«Ici s'ajoute cependant la pensée fondamentale que Dieu a accompli Son objectif pour l'homme non en effaçant le fruit de Son premier effort pour recommencer à neuf, mais en agissant au travers de l'homme dans son état déchu, laissant le péché et la mort s'épuiser dans cette chair humaine, et en le ressuscitant de la mort pour en faire un nouvel être animé de la vie de l'Esprit. Il s'ensuit que peu importe l'exactitude de la ressemblance, elle doit comporter l'idée d'une identification complète de Jésus avec la chair pécheresse ('la même nature humaine que n'importe quel pécheur', NKJ).

«Dieu a envoyé Son Fils pour faire face au péché ou, plus précisément, au 'péché dans la chair'. Puisque c'est au travers de la chair, au travers de l'homme tel qu'il est et appartient à notre époque que le péché exerce sa puissance ( Rm 7:5, 14, 17-18 ), c'est donc dans la chair que cette puissance doit être combattue et brisée. D'où l'importance d'être capable d'affirmer l'union complète de Christ avec la chair pécheresse de la race humaine. Pour Paul cette puissance a été brisée par la mort de Christ, un sacrifice par lequel Dieu a condamné cette chair pécheresse. Les deux phrases 'pour le péché' et 'condamné' contiennent la clef de toute la sotériologie [la science du salut] de Paul... Ici la logique de Paul est que la chair pécheresse ne pouvait pas être guérie ou rachetée mais seulement détruite... Dieu n'a pas racheté la chair par un acte d'incarnation; Il l'a détruite par un acte de condamnation.» (James D. G. Dunn, Word Biblical Commentary, vol. 38A, Romains, p. 420-440, 1988).